
Le cri de la mouette
LE CRI DE LA MOUETTE :
La plage était encore déserte en cette matinée d’été. Fatigués de leurs jeux de sable et d’océan, les hommes ne viendraient que plus tard offrir leur corps au soleil et à la mer. Alors, elles étaient heureuses et libres, les mouettes, dans ce jour naissant. Un conciliabule se tint donc et la gent ailée se laissa aller à divers commentaires.
_ « Je les trouve moroses, les vacanciers, cette année, dit la mouette grincheuse.
_ Tu disais ça aussi, l’année dernière, précisa la mouette rieuse.
_ Je ne me souviens pas ! En tous cas, cette année, ils sont encore plus renfrognés !
_ C’est que tu vieillis mal, mouette grincheuse ! Quand on devient vieux, ou bien on voit les choses en couleurs et on continue d’apprécier la vie, ou bien on ne perçoit qu’en noir et blanc et on dérape vers la critique…
_ Le noir et le blanc sont nos propres couleurs, je te rappelle, mouette rieuse !
_ Justement ! Il faut regarder au-delà de soi, plus loin que le bout de nos plumes ! Il faut élargir notre regard aux dimensions de la création. Regarde le sourire de ces enfants, ravis de voir l’océan pour la première fois. Ecoute-les crier de surprise et de joie quand l’eau fraîche vient leur chatouiller les orteils. Jette un long regard sur ces jeunes qui jouent une partie de rugby endiablée sur le sable, sur ceux qui courent longuement au bord de l’eau. Admire ces jeunes parents qui s’émerveillent des progrès de leurs enfants à dompter leur peur de l’eau, à devenir de bons nageurs. Et puis apprécie ces familles rassemblées qui, sur le sable ou dans l’eau, resserrent leurs liens de cœur et de sang. Et quand vient le soir, suis du regard ce promeneur solitaire, cette femme seule, cet adolescent au visage fermé ; écoute-les confier à la brise et aux couleurs du couchant leurs peines ou leurs espoirs, leurs rancoeurs ou leurs bonheurs, leurs projets ou leurs inquiétudes. Chaque été, ils ont les mêmes attentes et les mêmes besoins ; ils ne sont ni plus désespérés ni plus exaltés ; ils sont les hommes de ce monde qui viennent ici changer d’air, respirer les odeurs du grand large, s’ouvrir le cœur au vaste horizon, se remplir les yeux des couleurs du ciel et de la mer, des couchants ruisselants, des nuages d’orages. Ils viennent découvrir et faire provision de ce qui va leur manquer le reste de l’année et que, nous,les mouettes chanceuses, nous avons à profusion, chaque jour et chaque nuit. Alors, non ! Ils ne sont pas plus renfrognés, les hommes, cette année ! Ils sont les hommes de ce temps, c’est tout. Un conseil, mouette grincheuse : Change ton regard et mets des couleurs dans ta vie…les couleurs de l’été !
Gabriel Cubizolles.